Archives mensuelles : novembre 2017

Paris Photo 2017

© Man Ray “Portemanteau, 1920, exposé par Bruce Silverstein

Cent cinquante galeries et trente et un éditeurs au rendez-vous de la 21ème édition de Paris Photo, parrainée par Karl Lagersfeld – Grand-Palais, Paris.

Ce rendez-vous international mêle les nouveautés du secteur photographique aux séries vintage, les géographies de tous les continents, les formats, techniques et réflexions. C’est un marché, des prix circulent, des alliances et projets se forment. Un Comité réuni autour de Florence Bourgeois, directrice de Paris Photo et de Christophe Wiesner directeur artistique a sélectionné les exposants : plus de cent cinquante galeries et trente et un éditeurs de tous les pays, dont les trois-quarts viennent d’Europe – 31% de France, 14% d’Allemagne et 6% du Royaume-Uni – 17% des Etats-Unis, une poignée de galeries d’Asie, d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Amérique du Sud. 40% d’entre elles sont exclusivement dédiées à la photographie, 60% sont des galeries généralistes. La photo documentaire est largement représentée : « Beaucoup d’artistes se sont inspirés du processus documentaire ou pseudo-documentaire pour l’intégrer dans leur processus créatif » constate le directeur artistique. Et Mouna Mekouar, auteur indépendante, précise, lors d’un entretien avec Art Press : « Les artistes qui s’emparent dans leur travail de la complexité du médium témoignent de la manière dont ils explorent le réel et l’imaginaire, l’invention et la restitution, le documentaire et la fiction ; toutes ces notions qui, au gré de leurs travaux, se recoupent ou s’opposent sans parvenir à définir le statut de la photographie. »

Côté vintage, la galerie Bruce Silverstein présente des œuvres de Man Ray dont L’étoile de mer datant de 1928, Masque peint de 1941 et le célèbre Portemanteau de 1920 ; Henri Cartier Bresson avec Dimanche sur les bords de la Marne trace les moments d’insouciance des premiers congés payés, en 1936 ; la Galerie Françoise Paviot présente entre autre une reproduction par déguerréotypie de 1850 de Charles Negre : L’inauguration, asile impérial de Vincennes et des clichés-verre, tirages anciens sur papier albuminé de Camille Corot datant des années 1850. Les archives de Hank O’Neal témoignent de la vie rurale aux Etats-Unis entre 1935 et 1944 avec les photos de Walker Evans, Dorothea Lange, Russell Lee, John Vachon et d’autres, prises pour la Farm Security Administration, organisme d’Etat créé au plus fort de la Dépression. Movement study de Rudolf Koppitz, sorte d’image biblique présentée par la galerie Johannes Faber de Vienne, date de 1925. La Galerie Bene Taschen propose des vintages cibachromes d’Arlette Gottfried dont Summer afternoon, de 1985.

Côté solo-show, Gilles Caron qui a couvert différentes manifestations en 1968, comme le Printemps de Prague, fait parler l’Histoire, avec des clichés de sa série Chorégraphie de la révolte. Door opening de Ferenc Ficzek, une série de douze photos en noir et blanc de 1975, à la lumière très travaillée, est présentée par la galerie ACB. Alex Webb montre sa vision du Mexique avec Tehuantepec/Mexico, 1985, de la Robert Klein Gallery : une architecture rose et des enfants au ballon et tee-shirt bleus. Issey Miyake, de William Klein, 1987, est présenté par Le Réverbère de Lyon qui expose aussi des photos de Denis Roche et Bernard Plossu. Alfred Seiland, australien, est porté par la galerie Johannes Faber de Vienne, avec Ulf Merbold, Titusville Floride, 1997. La Yossi Milo Gallery montre douze photographies en noir et blanc de Mark Ruwedel, Furnaces, prises entre 1996 et 2008, sortes de phares ou de cheminées faussement identiques version nouvelle objectivité. Jalal Sepehr avec Red Zone est présenté par la Silk Road Gallery qui promeut également Ebrahim Noroozi et sa série Lake undecided, 2014, une barque fantôme dans un paysage lunaire, méditation en couleurs sur fond de nuages et reflets, avec un personnage, petit point rouge à la pagaie en équilibre, géométrique, simple et intense. La Silk Road Gallery présente aussi l’univers onirique de Babak Kazemi avec une série mélangeant noir et blanc, et couleur, Exit of shirin & Farhad, 2012. Mutations/Düsseldorf, Primary Demonstration de Klaus Rinke montre le corps en action. La Gallery Taik Persons propose le travail d’Anna Reivilä, d’Helsinki From the series Bond réalisé en 2016/2017 : pierres et branches ligotées et abandonnées dans la nature, dans l’eau ou la neige et celui de Riitta Päiväläinen qui joue de reflets et de compositions dans la nature avec From the series River Notes ; Massimo Vitaly sorte de regard à la Martin Parr D0017 Carcavelos Pier, Portugal 2016 fait partie de la Benrubi Gallery. Payram, Iranien exilé, montre, avec Syrie 55, 2002/2010 de la Galerie Maubert, des paysages et des bâtiments, entre lumière crue et noir profond. Mo Yi avec Notice fait un journal-montage de cinquante-deux photos sur les politiques en action avec saluts militaires et foules rassemblées, et avec la présence de Mao Tsé Toung. D’autres leaders politiques sont à l’affiche comme Fidel Castro et Che Guevara, avec des photographies non signées. Guy Tillim joue des couleurs : rose, vert, jaune, rouge, bleu, blanc, en montrant la ville africaine, la rue et ses habitants. Andrès Serrano avec Untitled V (Torture) réalisé en 2015 est présenté par la Galerie Nathalia Obadia ; Ernest Pignon-Ernest Pasolini assassiné Si je reviens Roma 3, 2015, est promu par la Galerie Lelong and Co. La Galerie Paris-Beijing présente Time immemorial de Yang Yongliang, un vaste paysage nocturne et les lumières de la ville, Sohei Nishino, un diorama Map Berlin, 2012 avec Michaël Hoppen Gallery. La mutinerie de Freeman Field, d’Omar Victor Diop, 1945, en 2017, est portée par la Galerie Magnin.

Dans la diversification des propositions, quatorze projets mis en exergue dans le secteur Prismes, créé en 2015, sont présentés dans le Salon d’Honneur  du Grand-Palais : des performances, des séries avec entre autre les créations inédites de Jungjin Leea, Unnamed road et Tim Rautert, Deutsche in uniform série de vingt-huit images, des installations comme Stop the bomb de Henry Chalfant ou Finding bones de Grey Crawford, une sélection de photographies de la collection Helga de Alvear, galeriste et collectionneuse d’Estrémadure dont le commissariat est assuré par Marta Gili, directrice du Jeu de Paume, sous le titre Les Larmes des choses.

Pour la première fois, une section film/vidéo est proposée, en partenariat avec le réseau MK2, Marin Karmitz étant un fin collectionneur de photographies et le producteur distributeur qu’on connaît. Trois séances quotidiennes et des films d’artistes présentés par les galeries de Paris Photo comme Vers la lumière de Naomi Kawase et Vingt-quatre frames d’Abbas Kiarostami, mais aussi Comédie, de et avec Samuel Beckett, film tourné par Karmitz. Par ailleurs une Carte blanche Etudiants est donnée à quatre jeunes d’écoles européennes, sélectionnés par jury pour présenter leur travail à Paris Photo, et Gare du Nord et une Plateforme conversation offre chaque jour des rencontres-dialogues animées par des personnalités autour de trois axes : La question de la couleur, ce qu’elle représente d’un point de vue esthétique, social et technique pour la photographie – La photographie trompe et montre qu’elle trompe – De l’enregistrement du réel, des pionniers à la méta-réalité, de l’univers numérique.

Karl Lagersfeld, directeur artistique des maisons Chanel, Fendi et Karl Lagerfeld, directeur de publication et éditeur, parrain de la manifestation, partage ses coups de cœur, sa signature en atteste. Et le public, autour de 60 000 visiteurs professionnels ou amateurs, butine, dans une ambiance de découverte, pour achat ou pour le plaisir, ou les deux.

Brigitte Rémer, le 29 novembre 2017

Du 9 au 12 novembre 2017 – Paris Photo – Grand Palais, avenue Winston Churchill. 75008. Métro : Alma Marceau – Site : www.parisphoto.com

D comme Deleuze

© Didier Crasnault

Ecriture collective autour de l’œuvre de Gilles Deleuze – Mise en scène Cédric Orain – Compagnie La Traversée.

Il s’agit d’une « conférence un peu mouvementée autour de l’œuvre de Gilles Deleuze » informe le dossier de presse. Deleuze lui-même est un mouvementé dans la vitalité de sa pensée, il transforme notre perception de la vie et du monde, travaille sur le sens et le non sens, sur le sens interdit le désir, sur l’inconscient.

Né en 1925, agrégé de philosophie en 1948, il est au zénith de sa pensée dans les années 68 et nommé professeur en 69 à l’Université naissante donc expérimentale de Paris 8 Vincennes (devenue Saint-Denis) après soutenance de sa thèse sur les concepts de différence et répétition. Il marque de son empreinte l’Université comme il marque les étudiants qui l’ont approché et se précipitaient à ses séminaires, sorte de causeries et de temps d’échange des plus conviviaux. On affichait complet chez Deleuze, on réinventait la relation maître/élève, on construisait des labyrinthes.

Le philosophe s’intéresse d’abord aux auteurs les moins en vogue à l’époque comme Hume, Spinoza, Nietzsche et Bergson qui l’inspire particulièrement, Foucault plus tard, fait une rencontre magistrale avec le psychanalyste Félix Guattari. Ensemble ils commettent plusieurs ouvrages dont deux devenus phares, dans la série Capitalisme et schizophrénie : L’Anti-Œdipe en 1972 où ils posent la question de l’inconscient : « Ce n’est pas un théâtre, mais une usine, un lieu et un agent de production. Machines désirantes : l’inconscient n’est ni figuratif ni structural, mais machinique… » et Mille Plateaux en 1990, où ils « retraversent tous les régimes de signes : la linguistique et l’écriture, mais aussi la musique, la philosophie, la psychiatrie, l’économie et l’histoire : celle des peuples et celle de l’appareil d’État. » Tous deux s’intéressent aux transformations du champ social, parlent d’art, de science et de politique, Deleuze reste pourtant fidèle à l’histoire de la philosophie, s’intéresse au cinéma et écrira sur ce thème deux ouvrages qui ont fait date, L’image-mouvement en 1983 et L’image-temps en 1985.

Alors que faire avec un tel agitateur d’idées, un franc tireur et libre penseur comme Deleuze quand on désire le porter au théâtre ? Lui, l’anti-héros, ne se laisse pas mettre en boîte si facilement. La compagnie a choisi de travailler sur les quatre premières lettres de son Abécédaire, long entretien télévisé élaboré par son ancienne étudiante Claire Parnet en 1988, réalisé par Pierre-André Boutang. La condition qu’il y mettait, lui qui n’acceptait pas d’être filmé, était de ne le diffuser qu’après sa mort.

A comme animal, B comme boisson, C comme culture, D comme désir. Cédric Orain, le metteur en scène, a choisi le thème de la conférence comme mise en situation et en espace. Trois acteurs sont autour d’une table, diffusant la parole jusqu’à ce que tout se dérègle. Il y a celui qui soliloque, celui qui ressemble furieusement au philosophe et celui qui vole, il est acrobate. L’esprit y est, le sérieux comme la dérision. On termine sur quelques mots dits par Deleuze et son immense éclat de rire, alors que, luttant contre la maladie, il se donne la mort, en 1995. « Ce sont les organismes qui meurent, pas la vie » avait-il écrit. La mise en scène est raisonnablement mouvementée et toute approche de Deleuze offre à penser.

Brigitte Rémer, le 18 novembre 2017

Avec Olav Benestvedt, Guillaume Clayssen, Erwan HaKyoon Larcher – lumière, régie générale Germain Wasilewski – administration, production, diffusion La Magnanerie : Julie Comte, Anne Herrmann, Victor Leclère, Martin Galamez – Site : www.latraverse.net

Du 30 octobre au 9 novembre 2017, 20h30 – L’Échangeur, Bagnolet 59, avenue du Général de Gaulle 93170 Bagnolet – Métro Galliéni –  www.lechangeur.org – Tél. : 01 43 62 71 20.

Spectacle créé le 1er mars 2017 au Phénix, Scène nationale de Valenciennes dans le cadre du festival cabaret de curiosités.

Mali Twist

© Malik Sidibé – Nuit de Noël – (1963)

Exposition des photographies de Malick Sidibé – Fondation Cartier pour l’art contemporain. Commissaire d’exposition André Magnin, en collaboration avec Brigitte Ollier.

De la joie de vivre dans le Mali post-colonial, il s’est fait le porte-parole. Malik Sidibé est né en 1935 à Soloba, au Sud du Mali, dans une famille paysanne d’origine peule. Il s’en est allé le 14 avril 2016, à Bamako, et repose au village. Un ancien s’éteint c’est une bibliothèque qui brûle dit le proverbe. Si la bibliothèque se consume, sa photothèque nous réchauffe, elle a valeur de témoignage sociologique et porte la trace des années 60, dans son pays, celles des années de liberté, juste après l’Indépendance.

Formé au dessin et à la bijouterie à l’école des artisans soudanais – les fondations de l’Institut national des arts de Bamako – il est vite remarqué pour ses talents de dessinateur. Il entre, en 1955 au studio de photographies de celui qu’on surnomme Gégé la Pellicule, Gérard Guillat-Guignard un français gérant du studio Photo-Service avec qui il apprend la photographie. Malick Sidibé, qu’on nommera plus tard L’œil de Bamako, ouvre son premier studio en 1958 puis, en 1962 le studio du quartier Bagadadji où il restera longtemps. Il se spécialise d’abord dans la photographie de reportage, notamment en allant dans les soirées des jeunes de la capitale, puis, à partir des années 70, se tourne davantage vers les portraits, réalisés en studio. Les Rencontres africaines de la photographie de Bamako en 1994 participent de sa reconnaissance internationale, ainsi que la première rétrospective de son travail, présenté hors d’Afrique, à l’initiative de la Fondation Cartier, en 1995. Les Rencontres de la photographie d’Arles honorent sa mémoire dans l’édition 2016 où l’Afrique est sur le devant de la scène, avec l’exposition Swinging Bamako. La fabuleuse histoire des Maravillas du Mali, du nom d’un des groupes de musique africaine du pays. Il a reçu de nombreux Prix de la Photographie dont celui de la Fondation Hasselblad, en 2003, pour la première fois attribué à un photographe africain ; un Lion d’or d’honneur de la Biennale d’art contemporain de Venise, en 2007, pour l’ensemble de sa carrière ; l’Infinity Award for Lifetime Achievement du Centre international de la Photographie de New-York, en 2008 ; il fut nommé Officier dans l’Ordre des Arts et des Lettres, en 2011. Une belle carrière d’observation et de modestie, qualités dont il ne se départira jamais.

Avec Mali Twist c’est un parcours joyeux de plus de deux cent cinquante photographies qui est proposé par la Fondation Cartier dont une grande partie est consacrée aux soirées dansantes de Bamako. Twist, rock’n’ roll et musiques afro-cubaines sur fond de 45 tours vinyle et de leurs pochettes souvent dessinées par le photographe accompagnent le parcours, ainsi qu’en sourdine la playlist originale des standards chaloupés, concoctée par Manthis Diawara et André Magnin. Mali Twist, le titre de l’exposition, fait référence à la chanson éponyme de Boubacar Traoré, chanteur et guitariste malien, sortie en 1963. « J’étais le seul jeune reporter de Bamako à faire des photos dans les surprises-parties. Les jeunes de Bamako se regroupaient en clubs. Ils empruntaient leurs noms à leurs idoles – Les Spotnicks, Les Chats sauvages, Les Beatles, Les Chaussettes noires – ou au journal Cinémonde qui venait de France. Souvent dans la rue ils s’appelaient : Hé ! Beatles !… On avait beaucoup d’occasions de s’amuser. » Ainsi, Regardez-moi (1962), photo de la Collection Fondation Cartier une grande joie de vivre pour ce twisteur faisant une figure acrobatique sous les yeux de son amie. Nuit de Noël (1963) un splendide pas swingué, esquissé entre un frère et sa petite sœur à qui il apprend à danser, tous deux concentrés et de blanc vêtus, une image devenue emblématique dans l’histoire de la photographie africaine, « C’est une photo que j’adore » disait Malick Sidibé. Dansez le twist (1965) où l’on rase le sol dans les figures et d’où émane une franche gaîté. Fans de James Brown (1965) où deux jeunes filles arborent la pochette du vinyle James Brown, musique sur laquelle visiblement elles dansent. « Les jeunes quand ils dansent, sont captivés par la musique. Dans cette ambiance on ne faisait plus attention à moi. J’en profitais pour prendre les positions qui me plaisaient » dit Sidibé. « Je faisais des tirages à mon retour des soirées, parfois jusqu’à six heures du matin. Je les regroupais par club, puis je les numérotais et les collais sur des chemises cartonnées. Je les affichais le lundi ou le mardi devant le studio. Tous ceux qui avaient participé aux soirées étaient là et se marraient en se voyant sur les photos… Seuls les garçons achetaient les photos et les offraient en souvenir aux filles… »

Les nombreux tirages d’époque développés de 1962 à 1978 dans son modeste atelier forment un vaste ensemble d’informations sur la vie adolescente, la danse et l’effervescence de la vie à Bamako. Il y en a beaucoup, petits formats aux bords dentelés rassemblés sur de grandes feuilles, qui gardent l’empreinte de ces moments détendus, entre jeunes. « Certains commandaient des tirages sans les acheter, le plus important était que leurs photos soient vues. Commandées par de jeunes bamakois sapés à la dernière mode, ces tirages sont la mémoire des moments de joie et de plaisir où ces jeunes découvraient leur image magnifiée par leur ami Malick Sidibé » dit le photographe. Autre série présentée, les photos de cette jeunesse rieuse au bord du fleuve Niger où ils se retiraient du monde pour écouter leurs musiques favorites, se baignaient, pique-niquaient et s’amusaient devant l’objectif de Sidibé qui les accompagnait et qu’ils surnommaient Malicki. Cela donne Pique-nique à la chaussée (1972), A la plage (1974), Combat des amis avec pierres au bord du Niger (1976), une série qui témoigne de leurs jeux et passe-temps. « Le dimanche, pendant les grosses chaleurs, on se retrouvait au bord du fleuve Niger, à la Chaussée, au lieu-dit du Rocher aux Aigrettes. Les garçons apportaient des électrophones à piles et des disques, on faisait du thé, on se baignait, on dansait en plein air. Je faisais beaucoup de photos à l’improviste, ça me plaisait beaucoup » commente Sidibé.

Autre thème, autre partie de l’exposition, les portraits que Sidibé réalisait dans son studio, vite devenu incontournable, où défilaient toutes sortes de modèles qu’il photographiait d’un œil toujours complice. Les jeunes de milieux populaires – seuls ou à plusieurs, habillés dernier cri pantalons patte d’éléphant la mode du moment, chemises bigarrées, chapeaux bien enfoncés, regards droits dans les yeux du viseur – venaient prendre la pose devant un rideau à rayures, parfois sur un fond neutre, souriants ou intimidés, assis ou en pieds. Ainsi Un yéyé en position (1963) chemise à fleurs et lunettes noires ; Nous deux avec guitare (1968) : vêtements kitsch pantalons zébrés, comme le tissu sur lequel ils posent, lunettes noires, une fleur à la main ; Sans titre (1973) portrait en pied d’une jeune femme, pantalon blanc patte d’éléphant, chemisette à manches courtes et chapeau qui auréole le visage, formes et reliefs bien en vue ; Un jeune gentleman (1978) pied posé sur un tabouret, le geste du penseur, cravate fleurie, tissu décoré au sol ; Un gentleman en position (1980) photographié en pied, costume impeccable pantalon patte d’éléph, gilet, cravate et grand béret. « En studio, j’aimais le travail de composition. Le rapport du photographe avec le sujet s’établit avec le toucher. Il fallait arranger la personne, trouver le bon profil, donner une lumière sur le visage pour le modeler, trouver la lumière qui embellit le corps. J’employais aussi du maquillage, je donnais des positions et des attitudes qui convenaient bien à la personne. J’avais mes tactiques. Ce travail que j’aimais trop m’a fait solitaire. Je ne pouvais plus le quitter ! » commente Malick Sidibé.

Le photographe n’aimait que le noir et blanc et « arrangeait un peu la réalité pour mieux dire la vérité » comme il le justifiait si bien. Au rez-de-chaussée de la Fondation Cartier, son studio est reconstitué, avec un parterre à damier noir et blanc où les visiteurs peuvent prendre la pose. Assis ou en pied, des accessoires mis à leur disposition, ils sont invités à se prendre en photo avec leur appareil ou leur Smartphone et peuvent ensuite partager leurs photos sur les réseaux sociaux, avec le hashtag #StudioMalick. Par ailleurs, deux artistes invités ont reçu commande de la Fondation : l’artiste ghanéen Paa Joe qui a réalisé la sculpture en bois géante d’un Rolleiflex, appareil qu’aimait utiliser Sidibé et une toile de Jean-Paul Mika, artiste de République Démocratique du Congo, Souvenir ya Bonane Tango ya Molato. Le superbe film tourné par Cosima Spender en 2008, Dolce Vita Africana est présenté en fin de parcours et permet de suivre le photographe au quotidien, à Bamako et Soloba.

Avec cet ensemble exceptionnel, l’œuvre de Malick Sidibé témoigne de l’insouciance et de la vitalité de la jeunesse bamakoise des années 60 à 80. C’est la trace d’une époque libre et captivante au Mali, Sidibé y a fait un magnifique travail d’artiste et de sociologue, renvoyant une image joyeuse et malicieuse du pays. La Fondation Cartier s’en est emparée, l’ensemble est magnifiquement agencé par les deux commissaires Brigitte Ollier et André Magnin, notamment l’immense sous-sol. L’exposition se prolonge par des activités programmées lors des Soirées Nomades – concerts, bals populaires, marionnettes traditionnelles, studio photo ambulant – A ne pas manquer.

Brigitte Rémer, le 31 octobre 2017

Du 20 octobre 2017 au 25 février 2018 – Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261 boulevard Raspail, 75014. Paris – Métro Denfert-Rochereau – www.fondationcartier.com – Tél. : 01 42 18 56 67/50 – Le catalogue, en version française et anglaise, est publié par les éditions Xavier Barral, avec des Textes de André Magnin, Brigitte Ollier, Manthia Diawara, Robert Storr et Malick Sidibé.